Hide In Your Shell [Terminé]

Right action, right words.

Il vérifia sa montre : 11h34. Autour de lui, le service fourmillait d’activité. Tous les employés de la Galerie s’étaient retrouvé dans l’immense salle de pause. Rory était l’excuse pour boire, discuter, faire une pause. Lui, il n’avait rien demandé. Il n’avait pas été contre, bien au contraire mais la situation le mettait mal à l’aise. Sa seule crainte était les boissons. Il sentit l’angoisse monter. C’était son jour, l’occasion parfaite pour tout le monde de rire, parler mais il devait tout de même cacher son “passé”. Personne ne devait savoir à part son patron. Il devait se rappeler qu’aux yeux des gens il avait l’air parfaitement normal et que tant qu’il agissait normalement personne ne soupçonnerait ce qui était tapi au fond de lui. Cela faisait une semaine et demi qu’il n’avait pas bu une seule goutte d’alcool. Il s’en réjouissait car cela signifiait qu’il sortait peu à peu la tête de l’eau. Et en se comportant de la sorte, grâce à Luke, il était parvenu à créer une vie, une vie qu’il avait perdu. Aujourd’hui, toutefois il sentait ses envies le supplier d’être libéré au point qu’il peinait à ne pas regarder la table pleine de boisson en tout genre. Son corps sembla peser une tonne. Ses idées étaient embrouillées. Ils avaient eu tort de commander de quoi boire surtout pour un pot d’arrivée pour ex-alcoolique ; ils n’en savaient rien mais ils auraient dû savoir que l’alcool et le stress ne faisaient pas bon ménage. Il fallait qu’il évite soigneusement tout contact visuel avec un verre comme les leurs.
Rory se décida à passer à l’acte alors il inspira l’air pendant quelques secondes avant de laisser s’échapper un long soupir. Lorsqu’il rouvrit les yeux il ressentit une bouffée de soulagement quand une collègue lui bouchait la vue de la “tentation”. On lui avait fourré un verre de jus d’orange en jurant par tous les saints qu’il n’y avait pas une goutte d’alcool.
Depuis maintenant une semaine, Rory s’était mis au sport et s’était notamment refait une beauté. Il avait bien changé et son style vestimentaire le rendait beaucoup plus pro. L’ancien lui était là. Il avait une allure plus mince et athlétique. Rory perçut un mouvement du coin de l’oeil et sortit de sa rêverie. Soudainement une collègue lui agrippa le bras et l'entraîna vers d’autres personnes en gloussant. Avec précaution il allèrent jusqu’à la table en évitant les bouteilles de vin et de cidre et alla directement rejoindre deux collègues qu’il avait rencontré une semaine plus tôt. Et pourtant, comme d’habitude, une envie le démangeait, refusait d’être ignorée. S’il cédait il pourrait… il pourrait… Son regard se figea sur les bouteilles pleines qui lui tendaient les bras sur le côté. Elle le contemplait avec jalousie et ferveur. Il se sentait épié par son addiction, un nombre incalculable de fois. Il resta là, debout, au même endroit dans un état second alors que ses collègues bavardaient à côté de lui. ll repensa à la pile de dossier qu’il avait sur son bureau. L’achat et la vente d’un tableau d’un jeune artiste prometteur était presque achevé et n’attendait que le tampon du patron - Castiel- pour être transféré dans l’armoire des dossiers “vente finalisée”.  Le dossier Milton était en suspens jusqu’à ce qu’il obtienne la réponse de l’acheteur. Une heure plus tôt, Rory avait commencé à ranger ses dossiers, se préparant à la suite lorsque Julia, fit irruption dans son bureau et l’obligea à venir ici. Les yeux fermés il visualisa ce moment et celui où Luke lui avait rendu visite. Il avait soif tout comme maintenant. La main tremblante, les sueurs froide. Ouvrant les yeux et les levant au ciel il bu une longue gorgée de son jus d’orange avant de se tourner. Il écarquilla les yeux en manquant de rentrer dans un type. Un type qu’il connaissait bien. Castiel.

« Oh. Bonjour, patron. » Bafouilla-t-il.

Il étira un petit sourire en levant son gobelet en plastique.

« Un petit verre ? » Il leva le doigt en l'air « Sans alcool ! »

Right action, right words.

On lui avait proposé plusieurs fois un verre, différentes sortes de mélange comme si dire non une première fois n’avait pas suffit. L’Enfer c’était les autres. A croire qu’ils savaient tous pour lui et qu’ils testaient sa résistance qui était déjà mise à rude épreuve. Il prit néanmoins le temps de regarder chaque personne présente, tentant de deviner -pour ceux qu’il n’avait pas encore croisés- dans quelle service ils exerçaient. Prit par les impératifs, il ne faisait pas attention aux collègues puis il venait juste d’arriver à la Galerie. Et de toute manière il n’avait pas vraiment la mémoire photographique, les visages s’effaçant de sa mémoire aussi vite qu’ils étaient venu. Mais il n’y pouvait rien, ça avait été toujours comme ça. La discussion autour de lui tournait bien évidemment autour du travail ou sur quoi boire. Malgré lui il tendit l’oreille vers la voix de la secrétaire. Lorsque celle-ci, qui semblait ne jamais lâcher Castiel d’une semelle, se mit à énumérer l’alcool disponible, Rory baissa les yeux et déglutit. Sa gorge était sèche. Trop à son goût. Il avait toujours aimé les alcools forts. Il avait soif et sa gorge le lui fit sentir. Néanmoins Rory sortit de sa torpeur quand Castiel n’en fit rien et se servit du jus de fruits. Mais Rory ne dit rien, il hocha la tête et continua d’écouter ce qui se disait.

« Aucun problème. Tout est parfait. » Un sourire charmant se dessina sur son visage. « Je suis très bien accueilli comme vous pouvez le voir, patron. »

Il repartit dans ses pensées. Tout le monde ignorait le pan de sa vie d’alcoolique. Il entrouvrit les lèvres et alla pour enchainer la discussion quand Julia -celle qui l'avait trainé ici- revint à la charge, lui prenant son verre des mains. Le verre chemina jusqu’à lui. Elle lui fourra le nouveau entre les doigts. Une forte odeur de vodka se répandit autour de lui.

« Finalement j’ai un souci à signaler », souffla Rory en baissant les yeux à la seule intention de Castiel.

C’était déroutant. Il fixa le verre, entre ses doigts qui lui intimait de le boire. Il observa l’objet entre ses mains avant de relever les yeux vers tout le monde, quelques secondes et Julia bu une grosse rasade de vodka un sourire aux lèvrs. Peut-être que c’était ça la solution ? Noyer une semaine d'abstinence avec de l’alcool ? Il eut l’impression que tous les regards convergèrent vers lui, ce qui le fit blêmir. Pour donner le change il s’arma de son plus beau sourire et avec énormément de force, il tendit le verre vers Julia.

« Non merci  » Elle eut l’air choqué. « Je ne bois pas d’alcool mais c’est gentil. » Il n’attendit pas une seconde et fourra le verre dans la main de la femme et se tourna vers Castiel sans prêter plus d’attention à la tentatrice. C’était dur… très dur. Mais il n'allait pas en dire long sur sa vie, expliquer pourquoi il ne pouvait pas résister à plus de tentation. « Bon... J'ai besoin de prendre l'air. Tu… Vous fumez ? »

Il avait besoin de sortir maintenant ou alors il allait vomir ses tripes. Ses mains tremblaient de plus en plus fortement mais il resta digne. D'un geste il sortit un paquet de cigarette et l'agita devant Castiel. Difficilement il prit une courte inspiration et porta un cigarette à ses lèvres. L’odeur et les regards lui donnèrent un haut le coeur. Rory le regarda brièvement avant de baisser les yeux.

Right action, right words.

Ni une ni deux, Rory baissa la tête et se dirigea vers la sortie en suivant Castiel. Personne n’avait vraiment fait attention à tout ça et pourtant l’ex-alcoolique avait l’impression que tous les regards lui étaient adressés. Une fois à l’extérieur, Rory inspira longuement en relevant la tête. Les mains tremblantes il alluma sa cigarette et aspira une bonne bouffée. Soufflant vers le ciel, Rory s’approcha de la rambarde et s’y accouda. Retirant lentement la clope de ses lèvres il esquissa un petit sourire.

« C’est pas de ta faute. Je vais devoir y faire face toute ma vie. » Il agita la main en l’air. « Ce sera difficile un certain temps mais après ça ira mieux…. enfin je suppose. » L’Ecossais haussa les épaules en reprenant une bouffée de nicotine.

Il l’avait entendu plein de fois lors de ses réunions. La tentation de reprendre même après quarante ans d’abstinence. Depuis que Luke l’aidait il faisait beaucoup plus attention à ce qu’il pouvait entendre dans ces moments là, aux expériences de chacun. Il avait l’impression que l’attente entre le verre, il l’avait vécu un milliers de fois et que dire non était l’aboutissement de tout une vie. Ce matin, il aurait voulu que le temps s’arrête. Il voulait pouvoir savourer éternellement cet instant de bonheur, si rare dans sa vie. Un accomplissement. C’était bien loin de tout son univers passé. Un passé fou, où il buvait de tous les côtés. Ces souvenirs resteront gravés à tout jamais dans son esprit. La petite Julia avait été vexé par son attitude. Vexé, troublée par son refus, un mélange de froideur. Elle avait sûrement dû se sentir rejeté et se dire qu’il la fuyait. Il était parti, sans un regard ni un au revoir pour elle.
Rory esquissa un sourire, touché.

« Merci. Parce que ça n’a pas été simple de repousser ce verre. »

Il était très fier de ce compliment qu’il ressentait sincère et rare. Cette semaine avait été difficile, il n’avait jamais eu quelque chose d’aussi fort à vivre depuis quelques temps. Un sentiment diffus et oppressant qui le rendait mal à l’aise. C’était un quotidien qui avait commencé à le rattraper et il avait de plus en plus de mal à l’assumer. La mort de son fils il devait y faire face, sa solitude aussi. C’était néanmoins gentil de sa part, de le soutenir avec des mots gentils; mais ça ne suffisait pas à lui redonner le moral. Tout semblait le tirer vers le bas depuis ce début d'abstinence bien qu’il ait enfin trouvé du travail et que Castiel lui ait laissé sa chance.
Rory se racla la gorge.

« Je n’ai pas eu le temps de te remercier de m’avoir laissé ma chance. » Il prit une bouffée de sa clope en plissant les yeux. « Je sais que tu n’as pas fait ça pour moi mais… merci quand même de ne pas avoir gardé en tête mes penchants pour la boisson et de n’avoir vu que le commissaire-priseur que j’étais. »

Il faisait bon, c’était une douce matinée. Rory avait du mal à se faire à l’idée qu’il sortait progressivement la tête de l’eau. Ca n’avait pas été simple non plus de postuler. La peur du refus, sûrement et certainement la crainte aussi de s’engager dans quelque chose de concret, la crainte qu’on lui fasse confiance et qu’il se fasse la belle. Écrasant sa clope dans le cendrier il se tourna vers Castiel.

« Et ta fille ? Comment va-t-elle ? »

Right action, right words.

Tu es un survivant, tu as vaincu l’alcoolisme, là où il faut se battre sans cesse. Oh bon sang cette pensée fit palpiter son coeur. Castiel le regardait avec une telle intensité que Rory se persuada qu’il surveillait si ses yeux étaient bien fait d’eau et pas de vodka. Mais il se contenta de lancer un grand sourire à son patron entre deux coups d’yeux vers l’intérieur.

Je sais. Tu ne l’as pas fait par bonté de coeur mais au moins c’est dit et on ne reviendra pas sur le sujet.

Il était papa quand lui avait perdu son fils. Rory marqua un temps. Il était content pour lui et sa gamine mais il ne put empêcher un petit pincement au coeur. Il se pencha le regard grave sur la rambarde et sortit à nouveau une clope. Il n’y avait personne dans les environs, si l’on exceptait la fête juste derrière eux. Rory était détendu, heureux d’avoir pu refuser un verre. Il avait appris à se montrer fort grâce à Luke. Seul le courage permettait d’appréhender le regard d'autrui. Il devait continuer de se moquer de ce que les autres pensaient même si c’était son lieu de travail.

Et avec ta… ton… Il marqua une pause. Compagne ? Compagnon ? Il inspira profondément allumant sa clope et souffla la fumée par le nez.

Heuuuu… Il ria dans un souffle. Je ne sais pas trop. Quand on m’a parlé de ça, on m’a dit qu’il n’y aurait que du jus de fruit et peut-être du vin. Je me suis dit que rien du vin j’aurais pu dire non facilement mais… si j’avais su qu’il y aurait autant je…

En attendant la petite pause, Rory regarda autour de lui. Au delà des immeubles, le ciel était gris et pourtant la luminosité ne lui était pas douloureuse. Clair à l’infini comme lors des mois d’été. Sans s’être rendu compte il s’était redressé pour mieux voir le paysage.

Je sais pas. Je pense que je vais retourner dans mon bureau pour bosser. C’est plus raisonnable. Mais merci d’avoir autorisé ce… ce genre de fête, je suppose.