[Mairie] Vive les embouteillages [Libre]

Romy avait eu du mal à s'endormir la veille, à cause de l'animation de rue. Les sirènes des véhicules d'urgence, des moteurs qui ronronnaient, des coups de klaxon, sans oublier les ivrognes d'un soir qui avaient chanté à tue-tête sous les fenêtres. C'était beaucoup moins animé que par chez elle, ou alors c'était qu'elle avait eu un double vitrage jusqu'à aujourd'hui.  

Ceci dit, elle bénissait sa tante Gemma qui était venue lui rendre visite la vieille. C'était simple, Tante Gemma avait eu l'idée de lui remplir ses placards, avait fait couler du café pour qu'elle n'ait plus à le réchauffer, mais le summum était qu'elle avait fait un brin de rangement. Même son frigo était agrémenté d'une peinture de Tess qui avait joué l'inspecteur des travaux finis et avait donné une de ses peluches Hello Kitty à la cousine de son père.

Comme elle avait la main à la patte la vieille, Romy s'était accordée une grasse matinée. Même si elle trouvait que cela était une perte de temps. Enfin chez elle, se lever à 8h30 correspondait à une grasse matinée.

Après une bonne douche, avoir déjeuner, s'être habillée, Romy descendit les poubelles et fila à la Mairie. Autant ne pas trainer pour donner les documents justificatifs de son changement d'adresse. Elle les avait rempli afin de pouvoir s'enregistrer sur New-York. Il lui faudrait en faire autant auprès des autres administrations : l'université, l'assurance maladie, et quelques autres.

Arrivée à destination, Romy s'empara du ticket numéroté. Elle avait écopé du numéro 25O. Dire qu'il était à peine 9h15 et qu'il y avait une bonne soixantaine d'individus devant elle, sans oublier qu'il y avait seulement deux guichets ouverts.

- Et tout ça pour un changement d'adresse, marmotta-t-elle dans sa barbe.

Ce matin débuta comme tous les autres. Le réveil de Castiel qui sonne, la douche et s'habiller. Puis, le plus petit des enfants à réveiller et à habiller, le plus grand à tirer du lit, préparer le petit déjeuner, déjeuner, se préparer, emmener les enfants, l'un à l'école l'autre au lycée. La, normalement, Castiel serait allé à la galerie pour travailler. Sauf qu'il avait des papiers à donner à la mairie. Et pas pour le boulot, sinon il aurait envoyé quelqu'un le faire. Les avantages d'être le patron. Non c'était que du privé, alors il devait bien le faire lui même. Ainsi il prit la direction de la mairie. Une fois arrivé, il chercha une place ou garer sa voiture, la gara, et une fois cela fait, il entra enfin à la mairie.

Le ticket en main, Castiel s'engagea alors dans la file d'attente. Ah quelle merveilleuse aventure ! Ça tombait bien il n'avait rien de plus intéressant à faire que de prendre racine à la mairie de bon matin … Ironie quand tu nous tient... Bref, la journée allait être longue, il ne savait pas pourquoi. En plus si les gens prenaient tout leur temps une fois que c'était leur tour, ils n'étaient pas sortis de l'auberge ! Castiel entendit la personne derrière lui marmonner. Enfin, la jeune femme. Elle parlait d'un changement d'adresse. Se disant qu'il n'avait de tout de façon rien d'autre à faire, alors, pourquoi ne pas engager la conversation ? Ça fait toujours passer le temps. Castiel se retourna alors à moitié pour dire à cette personne :

Vous aurez le temps de changer trois fois d'adresse avant que ce ne soit votre tour.

Il exagérait à peine … Derrière lui, c'était donc une femme. Une jeune femme. Une jolie blonde en fait. Et bien il aurait pu tomber sur tellement pire ! Comme quoi il y a toujours des petits trucs pour remonter le moral.

Si au moins j'avais le temps de passer avant de mourir de faim ce ne serait pas plus mal non plus.

Vu à la vitesse à laquelle ça avançait, il y en avait pour un moment. Ô joie !

Il y avait de râler dans le cas présent, qu’elle regarde à droite, à gauche, devant ou derrière ; Romy ne voyait que des gens, des gens et encore des personnes. C’était pire que dans une fourmilière ou dans une ruche. Et tout ça pour des fichus papiers qu’elle aurait pu donner à sa tante, parce qu’elle connaissait via son époux des hauts placés à la Mairie. Cependant Romy voulait se débrouiller toute seule, c’était un excellent moyen pour apprendre de s’orienter dans la ville, faire des découvertes en traversant les rues. Du moins, elle avait un aperçu de ce qui l’attendait quand elle devrait aller faire ses autres démarches administratives.

Son marmonnage attira l’attention de l’individu devant elle. Machinalement elle regarda derrière elle.

- C’est à moi que vous parlez ? Demanda-t-elle le plus simplement du monde, une fois qu’elle lui faisait face à nouveau.

Romy dans toute sa splendeur. Bah oui quoi ? Elle n’avait aucunement l’intention de déménager trois fois, une fois c’était déjà bien assez. Autant dire qu’elle avait un peu de mal à comprendre les humains qui respiraient et qui parlaient, elle était plus à l’aise avec ceux qu’elle étudiait parce qu’ils étaient raides morts.

Ils avancèrent quasi en mouvement avec le reste de la salle. Un nouveau guichet venait d’ouvrir, peut être que ça irait plus vite.  

- Ne vous inquiétez pas, je me chargerai de rétablir la vérité si vous mourez ! Répondit Romy, après tout elle était étudiante en anthropologie et elle devait étudier l’histoire d’un corps afin de découvrir ce qu’il lui était arrivé ou pas.

Elle reprit la parole à nouveau :

- Vous savez, il existe un concept tout simple : manger. C’est un besoin primaire, comme se laver ou copuler ! Déclara-t-elle toute penaude.

Lorsque la jeune femme lui adressa la parole pour lui demander s'il s'adressait à elle, Castiel se contenta de hocher la tête. Oui oui il lui parlait bien à elle, pas à la personne derrière elle ou à des gens qui sont morts. A la jolie demoiselle qu'elle était. Disons qu'elle avait parlé toute seule, il n'avait qu'à répondre, même si elle n'en n'attendait pas en fait. Il eu un sourire lorsqu'elle le rassura en disant qu'en cas de décès elle se chargera de rétablir la vérité :

Vous êtes bien trop aimable ! Et qui sait, si ça arrive …

Il n'en serait pas mécontent. Enfin, il serait mort, alors il s'en foutrait. Puisqu'il ne serait plus de ce monde, mais voilà qui était rassurant y'avait encore des gens qui savaient se dévouer. Aux mots de la jeune femme il ne pu s'empêcher de lui adresser un sourire. En voilà une qui n'avait pas froid aux yeux ! Plutôt amusant, pour une rencontre dans la file d'attente de la poste. Un besoin primaire comme copuler ?

Quel exemple mademoiselle !

Enfin ça se voyait bien que la situation l'amusait, et ne le vexait pas pour un sou. C'était plutôt drôle en fait. Mais bon le franc parler de la jeune femme le faisait sourire. La file avança d'un cran, une personne devant eux ayant eu droit de passer à son tour, le veinard.

J'imagine que vous non plus vous n'avez pas toute la journée ?

Dit-il pour continuer la conversation. C'est vrai après tout, tant qu'à faire... Personne n'avait grand chose à faire à part patienter, alors s'ils pouvaient passer le temps en discutant... On s'amuse comme on peut il faut dire !

Vous travailliez ? Étudiez ?

Proposa Castiel.

Elle faillit lui dire qu’il n’y avait pas de quoi, qu’elle ne ferait que rendre service à son prochain. Même si ledit prochain était raide mort. Mais bon, ce n’était pas une chose à dire, vu qu’il était question de la mort hypothétique d’une personne et qu’il ne faudrait pas que ça se réalise dans un futur plus ou moins proche.

- Ce n’est que la vérité ! Se défendit la jeune blonde. Après tout, il n’y a aucun mal à se faire du bien !

Romy avait trouvé cette formulation plus adaptée que « votre cerveau se trouve sous la ceinture ». Cela dit, la jeune étudiante n’y voyait pas de mal de s’envoyer en l’air avec un parfait inconnu. Premièrement, ça permettait de se dépenser. Deuxièmement, aucun engagement. Troisièmement, juste prendre du bon temps, sans se poser de question du genre « Et demain… ». Et pour finir, pas besoin de se lever avant pour se brosser les dents et un coup de peigne, sans oublier la retouche maquillage. Irréel, juste une mascarade, une mise en scène, un gros mensonge.

- Je devais aussi aller à la banque, enfin faire des choses plus que barbantes !

Oui, la banque et toutes ces administrations pour faire tous les changements nécessaires à son installation à New-York. Finalement, elle aurait dû accepter l’aide de sa tante. Peut-être que ça n’était pas trop tard, il faudrait juste trouver comment se rendre dans le quartier résidentiel ou elle habitait pour le lui demander. Cependant, il fallait reconnaitre qu’elle était peut être une des seules à avoir autant de temps à perdre parce qu’elle n’avait pas de travail.

- Étudiante en anthropologie, répondit-elle. Accessoirement à la recherche de quelques heures de boulot pour les weekends. Et vous ?

Bah oui, Romy était légèrement curieuse. Puis il n’y avait rien de méchant dans cette question, juste un moyen de faire connaissance. Tous les deux suivirent le même mouvement que la foule, histoire de ne pas se faire distancer ou même se faire faire piquer leur place pour ceux derrières eux.

De toutes les personnes présentes ici, Castiel était sûrement le moins bien placé pour contredire la jeune femme ! Depuis que son divorce était entamé c'était la fête au village ! Après tout il aurait bien été débile de ne pas en profiter. Surtout que c'était un peu de sa faute si les choses en étaient arrivées la. Mais bon il n'allait pas refaire l'histoire.

Etudiante en anthropologie ? Et bien c'est qu'on en croise pas à tous les coins ! Le moins qu'on puisse dire c'est que c'était original quoi. Après il ignorait si ça pouvait déboucher à quelque chose de concret. Sûrement.

Et bien ! Qu'est ce qui a fait que vous vous êtes dirigée la dedans ?

Il devait y avoir une raison, aussi petite soit-elle non ? Et pour sa part :

J'ai une galerie d'Art en ville.

Peut être que s'il lui disait ou, elle saurait situer le lieux, si du moins elle passait dans l'Upper East Side de temps en temps. Bon au moins la file avançait tranquillement, réduisant le temps d'attente qu'ils avaient à subir et c'était tant mieux. Castiel aussi avait d'autres trucs à faire, genre bosser quoi. Elle avait dit qu'elle cherchait du boulot pour le week end non ?

Et vous cherchez quoi comme job ? Si jamais bosser dans une galerie vous intéresse …

Y'avait de la place ! Surtout en week end, y'avait moins de personnes. D'autant plus que les vacances d'été approchaient et que tout le monde voulait sa part du gâteau ! Et la galerie devait continuer à tourner malgré tout. Donc de la petite main d'oeuvre était toujours embauchée durant ce temps la. Bien qu'il favorisait toujours les étudiants en art. Ça faisait toujours mieux sur leur CV.

Elle ne fut pas vraiment étonnée par la question. Effectivement qu’est-ce qui l’avait poussé à entreprendre ses études ? Romy va vous l’apprendre dans la réponse qu’elle donna à Castiel.

- Petite j’adorais me rouler dans la boue, commença-t-elle par dire avant de laisser un rire cristallin fuser. Non, je plaisante. Depuis que je suis gamine je suis passionnée par l’histoire, l’archéologie. Pour moi, il était logique que je me lance là-dedans. Ma mère raconte à qui veut l’entendre que gamine je trouvais toujours le moyen de déterrer les os que notre chien cachés dans notre jardin. Vous imaginez une fillette de 5 ans, en robe de soirée toute crottée, courir avec un os à la main pendant une réception ? Je faisais exactement ce que je viens de vous décrire.

Cette histoire pouvait être farfelue, complétement irréaliste aux yeux de tous mais elle était réelle. Elle avait marqué les esprits à cette époque mais aussi durant l’adolescence. Romy était une élève studieuse mais elle s’était également comportée comme une véritable Cheerleader. C’est-a-dire, en sortant avec les mecs de l’équipe de football américain. Enfin bref, la question ne se posait pas actuellement.

- Peut être qu’un jour, vous ferez une exposition de la peintre Connie Graham, Dit-elle. Enfin si c’est son nom d’artiste, en fait je ne sais rien, ma sœur ne me l’a jamais dit. Du moins, ça serait plus juste de dire que je ne m’en suis jamais intéressée.

Et oui, quand elle ne répondait pas à côté de la plaque Romy parlait pour ne rien dire. Elle ne se demandait jamais si ses interlocuteurs voulaient avoir autant de détails. Cela dit, si elle les faisait chier ils pouvaient le lui dire, c’était une grande fille qui acceptait que tout le monde n’ait pas les mêmes centres d’intérêt.

- Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Vous savez je suis une vraie catastrophe ambulante, je serai capable de renverser un plateau en servant des clients ou me planter de table. Même mon cousin ne me confie pas ma filleule en dehors de chez moi, je serai capable de l’oublier au parc.

Enfin en même temps, c’était plus que normal et légitime. Romy avait effectivement oublié Tess au parc lorsqu’elle avait 3 ans, parce qu’elle avait été attirée par quelque chose d’autre, mais elle ne se souvenait plus de quoi.

- Je viendrais déposer un CV, mais rassurez-vous je ne le prendrais pas si vous ne donnez pas suite, elle savait comment ça fonctionnait dans ce milieu grâce à sa frangine. Je sais que ce sont les étudiants en art qui sont privilégiés, je tenterai aussi auprès des musées, après tout, il s’agissait de sa branche.